La pratique artistique me permet de transformer des territoires marginaux (intérieur et extérieur) en lieux légitimes où habiter, et où s’habiter. Je prends l’espace en otage. Je l’occupe sous forme de performances intimes, souvent spontanées, que je documente, cherchant à dégager un passage à l’intérieur de moi. Le corps (intime et social) s’invite dans mon processus créatif. Il se positionne, libère sa force, et se libère. De même, par la mise en place de processus collaboratifs dans la communauté, j’invite chacun à créer cet espace en lui. La création s’impose à moi comme une manière de prendre place dans le monde, de faire résistance.

L’interaction se lit partout dans ma dynamique de création. J’infiltre des lieux et des communautés dans une posture d’observ-actrice mettant de l’avant l’être avec et le faire ensemble. J’épluche les patates avec les sans-abris, je me fais les ongles avec les travailleuses du sexe, je retourne jouer dans la cour d’école de mon enfance. Ce faisant, un geste après l’autre, j’amorce un mouvement de création, de plus en plus ample, grand, vaste, comme une balançoire qu’on actionne, pour repousser à chaque fois de nouvelles frontières, les pieds ailleurs, toujours plus loin. Les traces de cet échange, la documentation de ce lien, de cette interaction, deviennent la matière première récoltée de manière spontanée et intuitive via des dispositifs de rencontre ou via l’usage de médiums artistiques variés (photo, vidéo, écriture, dessin, estampe). Je donne ensuite une forme, une mise en espace à cette documentation. J’assemble, transforme et, du même coup, j’observe bien souvent la communauté se transformer avec moi. Happenings, installations, livres d’artistes, estampes et vidéos naissent.


En activant un mouvement circulaire d’échange entre l’intérieur et l’extérieur, entre les gens et les lieux, entre l’autre et moi, je souhaite donner corps à ce qui ne surgirait autrement. Je désire matérialiser des réalités, les tenir à distance, pour mieux les observer et en témoigner. Je revendique un art feutré, le plus souvent relationnel, qui prend dans les bras sans jugement, qui s’inscrit dans la lenteur de la rencontre, sans brusquer ce qui, déjà, l’a trop souvent été.